Antisémites et islamophobes sont les ennemis de la Palestine

Collectif

 

Les horribles conditions d’existence des populations de Gaza occupent l’avant-plan des scènes médiatiques et des mobilisations politiques et populaires depuis les attaques du 7 octobre dernier qui ont entrainé une incommensurable vague de mort et de violence de la part de l’État israélien.

Pour les militant·e·s révolutionnaires, la cause palestinienne n’est pas nouvelle; elle est au coeur de notre engagement internationaliste pour un monde meilleur depuis de nombreuses décennies. Elle a forgé imaginaires et stratégies, solidarités et espoirs. Mais elle a aussi entrainé des apories, des défaites et des culs-de-sac. Profondément enracinée dans l’irrésistible désir de l’humanité de vivre libre et en paix, elle est aussi façonnée, bon gré, mal gré, par les dispositifs politiques d’un monde où l’idéologie dominante se nourrit de la division, du pouvoir et de la haine.

C’est parce que nous revendiquons-là ces héritages que la cause palestinienne est aussi la nôtre; c’est parce qu’il nous est impossible de rester dans la passivité devant l’humanité détruite par les machines capitalistes de la guerre et du colonialisme que la cause palestinienne est aussi la nôtre. Et c’est parce que la libération des un·e·s est indissociable de la libération des autres, et parce que rien de ce qui est humain ne nous est étranger, que la cause palestinienne mérite qu’on l’investisse avec toute notre intelligence, avec toute notre rigueur, avec tous nos désirs d’espoirs et de liberté.

 

De la haine

Comme à chaque fois que des opérations israéliennes frappent la population palestinienne, on assiste à une recrudescence des discours et agressions antisémites, islamophobes et plus généralement racistes. Au cours des dernières décennies, le terreau de l’islamophobie a été préparé et nourri par des discours, des lois et des agressions islamophobes constantes. De la charte des valeurs en 2013 à l’attentat à la mosquée de Québec en janvier 2017 à l’adoption par la CAQ du projet de loi 21, l’islamophobie est bien présente au Québec. Depuis le 7 octobre, on observe cependant un sursaut dans les agressions et discours islamophobes et celles-ci visent plus spécifiquement les personnes qui manifestent leur soutien à la Palestine. Le cas de Imane Najar se faisant menacer et insulter par une passante pour avoir affiché un drapeau palestinien sur sa voiture n’est clairement pas un cas isolé. Parallèlement, le 28 octobre, l’imam réactionnaire et antisémite Adil Charkaoui était appelé à prendre la parole lors d’une manifestation pro-palestinienne. Le 7 novembre, la synagogue de la congrégation Beth Tikvah et le bâtiment de la Fédération CJA ont été attaqués au cocktail molotov; le 9 novembre, deux écoles juives de Côte-des-neiges ont été la cible de coups de feu; le 27 novembre, le Conseil de la communauté juive de Montréal de Côtes-des-Neiges a lui aussi été attaqué au cocktail molotov. Ces évènements ciblant la communauté juive sont les plus inquiétants à date, mais les cas d’antisémitisme ordinaire s’accumulent et se trouvent peu à peu normalisés. Il nous semble important d’insister sur la nécessité de combattre de front ces diverses manifestations réactionnaires et de ne pas transiger avec nos principes. En ce sens, l’antisémitisme et les violences coloniales et guerrières contre les populations palestiniennes et du Levant en général, sont intrinsèquement liées.

Les agressions et discours antisémites, sous couvert de défense de la Palestine ou non, sont une réalité quotidienne pour les communautés juives à travers le monde et contribuent activement à ce qu’Israël soit vue comme la seule échappatoire possible ou comme le dernier rempart pour les communautés juives. Cette diaspora combative, qui a été historiquement un bastion des idées progressistes et révolutionnaires, a été largement abandonnée par l’extrême gauche par opportunisme, par calcul politique et par antisémitisme.

Renvoyer dos à dos l’antisémitisme et l’islamophobie, dans une sorte d’opposition, fait le jeu des discours réactionnaires qui veulent y voir un choc civilisationnel. En fait, le mutisme de la gauche quant à l’antisémitisme, le passe-droit donné à certains discours, accueillis par le silence embarassé ou même parfois l’enthousiasme, s’inscrit dans le repli nationaliste​​​​​​​ qui a vu naitre une nouvelle forme d’islamophobie en Occident, où les personnes musulmanes se sont vu désignées comme l’incarnation du danger pour la civilisation occidentale, cause de son dépérissement, cabalant pour son remplacement. Aucun racisme ne doit être acceptable, aucune confusion ne doit être laissée sans réponse.

 

De la responsabilité des révolutionnaires quant à Israël et à l’antisémitisme

Ce silence de la gauche ne date pas d’hier: depuis les premiers balbutiements de l’anarchisme en tant que mouvement révolutionnaire ouvrier au XIXe siècle, l’antisémitisme est omniprésent et traverse une multitudes d’oeuvres majeures dans le développement des théories anarchistes, telles que celles de Pierre-Joseph Proudhon et de Michel Bakounine. En se penchant sur l’histoire du conflit entre Bakounine et Marx, certain·e·s en viennent même à soutenir que l’opposition du révolutionnaire russe à la dictature du prolétariat qu’il associe à la théorie marxiste aurait été fondée sur un a priori antisémite, où l’opposition à l’État ne se fonde pas sur une critique de sa fonction sociale et de ses manifestations nocives au processus révolutionnaire, mais bien sur le refus de donner du pouvoir à un gouvernement, ou plus largement à un organe politique central, mené par des personnes juives – dont Karl Marx. Une telle lecture de l’opposition à l’État de Bakounine, et plus largement du mouvement anarchiste, serait largement réductrice de la critique de l’étatisme mise de l’avant par ceux-ci. Néanmoins, l’existence même de telles critiques démontre l’incapacité historique de notre mouvement à s’opposer clairement à l’antisémitisme et à agir en ce sens.

Cet abandon de la gauche révolutionnaire est d’autant plus dramatique que le mouvement a été incapable de protéger ces communautés de l’oppression puis de la Shoah. Notre échec historique a un lien direct avec la création de l’État d’Israël, le sionisme ayant été pour beaucoup la seule option crédible.

Si nous prétendons combattre l’État d’Israël, il s’agirait a minima de convaincre les communautés juives de la diaspora que leur présence et leur sécurité nous tiennent à coeur, et cela oblige de ne jamais transiger avec les antisémites, fussent-iels pro-palestinien·ne·s. Ne pas être à la hauteur du problème sur ces questions est dramatique à de nombreux niveaux. D’une part, cela contribue à la perpétuation d’une oppression pluriséculaire contre la communauté juive et agit tel un vecteur de renforcement des tendances réactionnaires, fascistes ou islamistes dans nos sociétés. D’autre part, cela accorde de la légitimité à l’État d’Israël en le renforçant dans sa position “d’unique défenseur” des communautés juives, convainquant ainsi toujours plus de personnes d’adhérer à son projet, voire de venir s’installer.

Au soi-disant Québec, l’État se drape dans une lutte contre l’antisémitisme de façade, tout comme pour les autres racismes. Nous savons bien cependant la nature profondément raciste, antisémite et coloniale de cet État qui n’essaye même pas dissimuler les traces de son passé honteux ; Les noms de Lionel Groulx et Lucien L’Allier, parmis tant d’autres, continuent de salir les murs de nos quartiers. Il est donc évident que le bras armé de l’État, la police, et la Justice, ne luttent pas contre le racisme mais en sont au contraire son expression légalisée, institutionnalisée. Nous n’avons même pas besoin d’insister sur la présence bien réelle de fascistes au sein de la police pour savoir que le meilleur des flics harcèle tout autant les communautés opprimées, car il s’agit là de son rôle, non d’une dérive individuelle. La police ne protégera pas mieux les communautés juives qu’elle ne protège les autres communautés opprimées.

Dans cette lutte contre les racismes, nous ne pouvons compter que sur l’auto-organisation des opprimé.e.s et l’autodéfense. Mais pour pouvoir mener ce combat à bien, nous ne pouvons tolérer aucune dérive dans nos rangs ; celui qui attaque la communauté juive est autant notre ennemi que celui qui s’en prend à la communauté musulmane. Nous devons le clamer haut et fort et participer à débarasser nos mouvements de ces ennemis objectifs de la lutte palestinienne.


Oser rêver d’un autre monde

En tant que révolutionnaires basé·e·s sur un territoire Kanienʼkehá꞉ka connu comme Montréal, nous pensons que combattre politiquement et sans complaisance les racismes autour de nous doit être notre tâche principale, en cohérence avec les impératifs de solidarité, de mobilisation et de formation quant à la cause palestinienne.

Nos luttes doivent essayer d’être à la hauteur de nos espoirs pour l’avenir de l’humanité. Tournons nos yeux vers le combat de nos camarades du Kurdistan qui refusent de laisser le sectarisme empiéter sur la construction d’une nouvelle société débarrassée des États-nations. Nous nous retrouvons dans la déclaration de la Coprésidence du KCK du 18 octobre 2023 :

“Les peuples du Moyen-Orient et du monde, conscients de cette attitude des États, doivent poursuivre et étendre leur lutte en solidarité avec le peuple palestinien. Il est très important que les peuples arabes et juifs, prenant acte de cette approche des États, agissent en solidarité et dans le cadre d’une lutte de libération commune. Le peuple kurde doit également souligner sa solidarité avec le peuple palestinien et poursuivre sa lutte dans le cadre de cette approche solidaire. La seule véritable solution aux problèmes du Moyen-Orient est l’approche et la mentalité de la nation démocratique proposée par Rêber Apo [Abdullah Öcalan]. C’est la lutte commune de tous les peuples du Moyen-Orient, en particulier les peuples kurde, arabe et juif, qui permettra de réaliser cette solution.”

 

Solidarité internationale
Guerre à tous les États